Manger de l’eau

Pour financer mes études, malgré mes trois emplois d’été qui m’occupaient pendant les sept jours de la semaine et mon emploi de serveur le reste de l’année, mon amoureuse et moi, il nous arrivait de « manger de l’eau ». Lorsque nous avions faim et qu’en ouvrant le frigo ou le garde-manger il n’y avait plus rien, à la blague, nous nous rappelions qu’il restait au moins de l’eau. Vous aussi, vous connaissez peut-être cette sensation de « manger de l’eau ».

Geste spontané, mais naïf de mes vingt ans, l’auteur adulte que je suis aujourd’hui y découvre à travers ce rituel, une série de leçons et d’inspiration que j’aimerais partager avec vous.

Si vous avez déjà été en perte de poids, vous connaissez la sensation, en fin de soirée, où vous seriez prêts à manger un barreau de chaise tellement la tentation de manger, de croquer, mâcher et de ressentir la satiété est forte. Qu’il s’agisse d’une diète de réduction de calories quelconque, d’un changement d’habitudes alimentaires ou d’une diète de jus, à un certain moment, la cloche de Pavlov sonnera, et nous salivons devant rien.

Dans ces épisodes-là, déterminé à vaincre le faux sentiment de faim, au lit mais rêvant à un sace de chips, je me suis résolu à retourner à mes amours de jeunesse : le bon vieux verre d’eau. Je sais maintenant qu’en boire un petit peu à la fois ne change rien à mon envie de dévorer le plancher. Par contre, avaler un ou deux verres consécutivement, réussira à créer une pression suffisante dans mon estomac, afin d’éteindre le feu d’anxiété créé par mon cerveau, vieilles habitudes obligent, alors que je suis pourtant bien loin de mourir de faim.

Oui, l’eau finira par se fondre dans tout mon organisme, lui-même constitué à 70% d’eau. Mais j’aurai tout de même joué un tour à mon cerveau. Ce faisant, je peux terminer ma soirée calmement, devenant ainsi confortable avec la légère sensation de faim qui subsiste, qui est le signe que je suis sur la voie de réussir mon objectif.

Je n’ai pas créé la métaphore de « manger de l’eau » afin d’admirer la variable qu’elle devient, dans l’équation linéaire d’un effort de perte de poids. Je me suis permis d’évoquer cet exemple comme base pour grandir avec le reste des possibilités.

Manger de l’eau, c’est reprendre le pouvoir sur nos instincts trompeurs. En plus de la fausse alarme de faim, imaginez toutes les fois où vous avez douté de vous pour une tâche ou un projet. Manger de l’eau nous permet de faire semblant, y compris « faire comme si » nous avions connu la réussite. Combien de fois, avant de lancer ma carrière de conférencier, ai-je récité à voix haute mes premiers textes dans mon salon, tout en « voyant » l’auditoire et « entendant » leurs chauds applaudissements? Même effrayé, et sans public, je «connaissais» du succès. Vous me suivez? Et ça ne veux pas dire que je n’en aurai pas eu sans cet exercice de visualisation créatrice. Mais vaut mieux un tien que deux tu l’auras, disait ma sage grand-mère. Manger de l’eau, c’est une manière de reprogrammer son cerveau, ne prenant presque rien pour en faire quelque chose qui a de la valeur pour nous, en passant par nous.

Manger de l’eau, c’est donner naissance aux possibilités – prendre un semblant de rien et en faire quelque chose. Qu’il s’agisse d’un ado récalcitrant, un coéquipier toxique, une équipe totalement dysfonctionnelle, peu importe, tout commence par la sensation que vous éprouvez face à votre situation. Les plans d’action ne serviront à rien si votre état émotionnel ne vous donne pas les mêmes sensations que celles que vous auriez si tout était à votre goût. Posez-vous la question suivante : « Selon moi, est-ce que je vis dans un environnement hostile ou bienveillant? ». Si la réponse est la première, c’est ce que vous « buvez ». Et c’est ce que vous retrouverez sur votre chemin. Manger de l’eau, c’est porter une attention à chaque détail, chaque sensation.

Manger de l’eau, c’est prendre son courage à trois mains et travailler comme un soldat, dans l’ombre, tête baissée vers le but. Au compte-gouttes, voilà un véritable exercice de persévérance et d’engagement (invisible). Vous travaillez sur votre projet – un livre, plan d’affaires, formation professionnelle, etc -, soir après soir, weekend après weekend, sans en parler à per-son-ne. Un jour, vous dévoilez les résultats (visibles) à votre famille, amis, voisins et contacts médias sociaux! Manger de l’eau, c’est subtil, mais c’est tout de même l’idée de toutes les possibilités, de la 3e loi (du retour) de Newton et du légendaire petit train qui va loin.

Plusieurs thèmes se chevauchent dans cette métaphore : les habitudes humaines à transformer, notre neuropsychologie individuelle, nos rêves et possibilités, la confiance en nous, notre ressenti et notre vision de ce que l’on souhaite devenir.

Que ce soit pour transformer une partie de votre vie personnelle ou avec vos collègues ou employés au bureau, faites confiance à ce qui ne se voit pas avant de réagir en fonction de ce qui saute aux yeux.

Marc André Morel

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