Passer du « je » au « nous »

Une vérité ancestrale

Depuis sept millions d’années, l’être humain survit — puis domine cette planète — non pas grâce à sa force brute, mais grâce à sa faculté à créer du nous. Des petits groupes de chasseurs-cueilleurs aux nations modernes, notre évolution repose sur deux vecteurs : notre capacité d’adaptation et notre esprit de collaboration. Sans communauté, nos ancêtres auraient été balayés par les prédateurs, les famines et les intempéries. Avec elle, ils ont bâti des abris, partagé les tâches, élevé les enfants ensemble et transmis leur savoir. Le « nous » n’est pas une option : c’est un critère évolutif.

Pourtant, malgré ce passé collectif, notre société moderne glisse vers une narcisisation subtile mais profonde. On valorise l’individu, la visibilité, la performance solo, « l’image » plus que le lien. Les réseaux sociaux — mal utilisés — encouragent l’autocentration: se raconter, se comparer, se mettre en avant-plan.

Le déclin de l’empathie

Depuis quelques années, ce qui inquiète les chercheurs et psychologues est la baisse — ou l’instabilité — de l’empathie, un phénomène lié à la montée de l’individualisme, au stress chronique, à certains environnements éducatifs ou professionnels, et à l’omniprésence des écrans qui réduit la présence réelle à l’autre.

Cette individualisation n’est pas une fatalité. Elle devient même une occasion de revisiter un principe essentiel: notre bien-être — psychologique, social, émotionnel — dépend en grande partie de la qualité de nos intentions face aux relations que nous cultivons. L’autre est-il un moyen pour servir mes intérêts, ou suis-je sincère dans mes efforts de considération et de présence?

Pour nous ramener vers notre nature profonde, il faut passer du « je » au « nous ».

Les archétypes de Jung comme preuve évolutive

Carl Jung parlait des archétypes comme de grands modèles universels présents dans l’inconscient collectif. Parmi eux, le troisième archétype — le sage-leader (statesman) — nous offre une piste précieuse pour comprendre la dynamique du « nous ».

Contrairement aux deux premières étapes de vie — l’athlète (performance, apparence) et le guerrier (production, survie, protection famille) — le sage-leader n’agit pas pour lui-même. Il voit large: le groupe, la communauté, le long terme. C’est là où plusieurs, après avoir réussi leur vie, deviennent plus altruistes et (re)donnent à la société via le bénévolat, activités ou dons caritatifs, etc. Pas besoin d’attendre la cinquantaine pour incarner un rôle plus porté vers les autres. Cet archétype dort en chacun de nous, la preuve, de plus en plus de jeunes de la génération Z se mobilisent pour des causes humanitaires, environnementales, même politique – ayant notamment fait tomber certains gouvernements au cours des derniers mois.

Le compte bancaire relationnel

En conférence, j’utilise la métaphore des jetons de casino pour symboliser les dépôts et retraits que nous faisons dans nos relations. Qu’il s’agisse d’un voisin, d’un collègue ou d’un membre de la famille, nous avons un compte bancaire émotionnel avec chaque personne que nous côtoyons.

Chaque geste positif — aide, remerciement, écoute réelle, reconnaissance sincère — représente un dépôt. Chaque comportement centré sur soi — demande, évitement, indifférence, jugement — représente un retrait.

Quand notre compte relationnel est en santé, tout est plus fluide: la confiance tient, les malentendus se résorbent vite et la collaboration devient naturelle. Quand le compte est à découvert, tout devient fragile: un mot de travers suffit à créer une distance — voire briser la relation.

Faire un dépôt dans le compte émotionnel de quelqu’un agit aussi sur notre propre équilibre intérieur (humeur, sommeil, appétit). La recherche montre même que chaque partie voit son niveau de sérotonine augmenter: la personne qui donne, celle qui reçoit et même celle qui en est témoin.

Pour en savoir plus sur le sujet, voir mon article: Récompensez l’entraide.

Comment s’ouvrir au « nous »

Cela commence par de petites choses :

• reconnaître un travail bien fait

• complimenter une qualité, avec un exemple

• proposer son aide, son écoute, son support

• cesser d’interrompre

• être ouvert aux idées d’autrui

• offrir un sourire plutôt qu’un visage fermé

• valider une émotion plutôt que la minimiser

• assumer une responsabilité plutôt que blâmer

• être gentil avec les «moins gentils»

Ces simples dépôts transforment l’atmosphère d’une équipe, d’une famille, d’un couple, d’un voisinage. Et surtout, ils nous transforment nous.

Les bienfaits personnels du passage du « je » au « nous »

Voici ce que la recherche et l’expérience montrent :

  1. Diminution du stress : les comportements prosociaux réduisent les hormones du stress.
  2. Augmentation du bien-être psychologique : reconnaître l’autre active les circuits de récompense.
  3. Renforcement de l’estime de soi : contribuer nourrit une identité positive.
  4. Résilience accrue : un bon réseau relationnel prédit la capacité à traverser les épreuves.
  5. Sentiment d’appartenance : le « nous » combat l’isolement moderne.
  6. Santé physique améliorée : les relations positives diminuent l’inflammation et favorisent le sommeil.
  7. Sens et motivation profonde : aider donne direction et énergie.

Chaque intention et geste comptent.

Marc André

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