Sur la route d’un conférencier No5 – Trois-Rivières
Trois-Rivières, avril 2002. À chaque conférence que je donne, mon plaisir commence dans mon bureau, dès le début de ma préparation. Après avoir discuté avec mon client, je révise mes précieuses et abondantes notes. Tel qu’il est coutume, je lui envoie un texte à lire pour me présenter et mes pré-requis techniques.
Peu importe le choix du thème de conférence par le client, je prends le temps de trouver des exemples appropriés et pertinents, suite à nos discussions et après avoir épluché leur site internet au complet. Ma présentation électronique reflètera ces adaptations.
Vient ensuite la révision de mon matériel à apporter, le choix de mes vêtements sortis des tiroirs et du garde-robe la veille, le plein d’essence fait, tout y est! La route vers la destination fait aussi partie du plaisir que mon métier me procure. J’en profite pour visualiser l’évènement et répéter mon ouverture.
Cette fois-ci, on me donne rendez-vous dans une salle privée, me dit-on, en banlieue de Trois-Rivières, à mi-chemin entre Québec et Montréal. En arrivant dans le stationnement, je me rends compte que c’est une cabane à sucre – cousins français et belges, sachez qu’il s’agit d’une immense salle à manger construite en forêt pour profiter des produits de table traditionnels autour du sirop d’érable.
Nous sommes en 2002, la loi anti-tabac dans les endroits publics ne verra le jour qu’en 2006. En entrant, non seulement ai-je été frappé le mur de fumée toxique de cigarettes, mais par le bruit des cris et des rires de tout ce monde assis ou titubants, saouls comme je n’avais pas vu depuis les années 70, enfant, caché dans la pile de manteaux en attendant que ça finisse.
Malgré le soleil rayonnant à l’extérieur, cet endroit est sombre, feutré par la terrible boucane de cigarette, et les tables remplies de pichets de bière, de cendriers débordants et d’assiettes abandonnées.
Mon contact, le directeur et un vrai « bon gars », vient me rejoindre devant la plateforme et les installations. On se regarde, on ne dit rien. On se comprend. Ça a dégénéré. Il semble sobre. Ça me rassure. On m’installe. Je sais ce qu’il me reste à faire : 80% humour, 20% message. Mes talents d’humoriste sont rappelés d’urgence.
Le directeur réussit à appeler son monde et à les faire assoir sans trop d’écorchures. Les regards sont hagards. Nous sommes côte à côte. Il a le texte dont il a besoin de lire entre les mains. Il s’empare du micro et se met à parler sans même lever la feuille devant ses yeux : « Je vous avais dit qu’on allait avoir un conférencier… ça fait que… le v’là!! »
Le reste demeure un souvenir flou. La leçon que je retiens est que, malgré tous nos efforts de préparation dans nos métiers, il faut aussi savoir se préparer à ce pour quoi il est impossible de se préparer. Demeurer souple, ouvert, axé sur le service, pas son égo.
Le v’là! C’est parfait comme ça.
Marc André Morel
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