La revanche des femmes

Fils de père absent, une seule sœur, seulement des cousines, ma mère, mes tantes et ma grand-mère maternelle se sont chargées de me donner suffisamment d’amour, de soins et de leçons de vie pour définir l’homme que je suis.

À l’adolescence, lorsque je suis passé vivre chez mon père, tout était « femme » chez nous! En tant que dirigeant du fabricant de soutien-gorge, WonderBra, les échantillons trainaient partout dans la maison. Les discussions concernaient davantage les vertus du support à donner au miracle de l’anatomie qui nourrit l’humanité, qu’aux conditions existantes de celles qui le portait.

J’avais six ans lorsque la première vague d’affirmation féminine est survenue. En 1972, pendant que les femmes déchiraient et brûlaient leurs brassières, l’équipe marketing de WonderBra a capitalisée sur le mouvement en lançant la campagne « Dici ou rien », pour propulser la marque « Dici ». L’image de cette femme libre qui marche sur la plage et qui lance son soutien-gorge en l’air est encore vivide en ma mémoire.

La première féministe que j’ai connu, c’est Suzanne, l’amoureuse de mon père, à l’époque. En 1974, elle a trente ans, brillante, grande, chevelure longue et foncée, des lunettes qui payaient un loyer au haut de son visage, elle savait utiliser son cerveau, sa voix et son corps pour passer un message.

Un matin, alors que des travailleurs se concentraient à réparer le toit du chalet, perturbée par le bruit avortant son sommeil, je la revois encore debout, complètement nue, précédée de sa poitrine tonitruante, les mains sur les hanches, son panache orienté en direction du sommet du toit cathédral, elle a servi une poésie radio-canadienne avec une ponctuation digne d’une ligne ouverte aux « amateurs de sports » ! Le silence qui a suivi fut épique. On se serait crus dans un récit de la famille du romancier Alexandre Jardin.

Ce fut un spectacle qui m’a marqué. Pour le mieux. Car les femmes que j’avais connu depuis ma naissance furent bienveillantes, travaillantes, aimantes et présentes, tel que fut Suzanne. Mais une guerrière, une femme qui s’affirme, qui fonce et qui défonce, je n’avais jamais vu ça. Depuis, Dieu merci, il y en a tout plein. Mais qu’est-ce que j’admire les premières qui se sont levées!

Ça devait prendre du « Suzanne en soi » pour lancer la campagne #metoo/#moiaussi. Les médias sociaux auront été la bûche de plus dans le poêle qui aura fait siffler la bouilloire sur le feu. Nos écrans individuels nous ont permis d’entendre le cri de détresse.

Cette revanche des femmes est si puissante que je sais que des hommes aussi abusés se sont tus pour laisser toute la place aux femmes, dont nous pouvons compter les insurrections dans l’histoire de l’humanité sur les doigts d’une seule main. C’est le moment des femmes, la revanche, version 2.0, 45 ans après la première affirmation de 1972.

Quand je pense aux histoires de mes précédents, dont mon arrière grand-père qui trainait sa femme dans la chambre, alors qu’elle se débattait, et qui la violait là, devant les quinze enfants qu’elle lui avait donné. Cette histoire là n’habite pas que dans mon arbre généalogique.

Parfois, j’essaie de m’imaginer être derrière les yeux d’une femme. Imaginer ce que cela peut être, dès l’adolescence – parfois avant -, se faire regarder telle une proie, encaisser les remarques déplacées, être surprise par un touché sans consentement, se faire piquer un poste mérité pour une question de chromosomes, sans compter tout le reste plus violent qui hante sans cesse nos esprits.

Voilà des millénaires que la femme est abusée. Elle porte et donne la vie, le lait nourrissant, les soins, l’enseignement, le réconfort, la confiance. En retour, on se construit des lois, des religions et un système pour les bafouer, les soumettre et en abuser.

Depuis tout ce temps, elle a encaissé, en silence. Mais le silence, c’est fini. Depuis Cléopâtre, Marie-Madeleine, Marie Curie, Thérèse Casgrain, Rosa Parks et Janette Bertrand, on voit la tête du bébé. Il est maintenant temps d’accoucher!

Dans une chronique précédente, Quand les femmes dirigeront le monde, je soulevais l’exemple du Danemark qui a atteint la parité chez les élus et au sein des conseils d’administration. La loi du 40% de femmes et d’hommes minimum est l’action simple à poser. Dans un an, tout pourrait se régler chez nous aussi. La question d’équité salariale est honteuse et c’est une véritable farce à régler. Un enfant de 12 ans pourrait trouver la solution.

Les femmes ont assez enduré. La patience des femmes à ce jour est remarquable. La patience des hommes est désormais un exemple odieux de mauvaise foi, et pourquoi pas, de crime contre l’humanité.

Les femmes ne sont plus seules. Elles « s’ont », comme dirait Jean-Pierre Ferland. Et la majorité des hommes sont à leurs côtés. Manque plus que des services aux citoyennes d’exception, des systèmes policiers et judiciaires équitables et on va commencer à faire une « Suzanne » de nous autres!

Lumière devant.

© 2018 Marc André Morel. Tous droits réservés.