Le baluchon de Covid

Question de profiter de l’arrivée du printemps, qui coïncide avec la longue période de confinement, du haut de ses sept ans, Éva tenait ses guidons solidement afin de traverser son sentier préféré, celui qui va la ramener à la maison.

À mi-chemin, elle aperçoit un jeune garçon à peine plus vieux qu’elle, marchant vers elle. Avec sa chevelure brune toute bouclée, elle ne reconnaît pas ce garçon, elle qui socialise avec tous les enfants de son quartier. D’autant plus, qu’à l’aide d’une branche d’arbre, il traine un baluchon blanc, quelque peu usé et taché par le temps.

À mesure qu’il se rapproche, elle ralentit, puis finit par s’arrêter, deux mains sur ses guidons surélevés, deux pieds par terre.

« Tu t’appelles comment? », demande-t-elle, d’un ton curieux.

« On m’appelle Covid, toi? »

« Covid, c’est un drôle de nom ça! Moi, je m’appelle Éva! T’es pas du quartier? », rétorqua-t-elle.

« Oui, c’est un nom rare, c’est plus facile à s’en souvenir. Non, pas du quartier, je faisais juste passer. », répondit timidement le jeune garçon.

« Qu’est-ce que tu fais avec ton baluchon? » lui demanda-t-elle promptement.

« Je retourne chez moi et je rapporte ce que j’ai appris. », enchaîna candidement le jeune garçon.

« C’est où ça, chez toi? » rajouta avec empressement la fillette.

« Je vais savoir quand je vais y arriver. Je ne sais pas vraiment où je suis né. », répondit Covid, se grattant légèrement la tête.

« Tu parles bizarre. Tu ne ressembles à personne que je connais. Pis à mon école, on est presque 100 nationalités différentes, t’es quoi, toi? »

« Moi je suis un virus. », répondit Covid, sans broncher.

« T’es un virus? », rétorqua Éva.

« C’est ça. »

« Ça doit plate comme vie ça! », s’exclama la colorée Éva.

« Peut-être pour toi, mais pour moi, c’est toute ma vie, c’est ma raison d’être! Mais là, je retourne chez moi, où j’étais bien traité, au chaud, avec quelques frères et sœurs, et nos parents à la retraite. Depuis qu’on est sortis, on nous déteste, on nous traite de tous les noms et on ne veut même pas de nous. », raconta le jeune Covid, visiblement découragé.

« C’est pas le fun ça! Moi aussi des fois je trouve que personne m’aime. C’est là que j’appelle mes amis. », rajoute Éva, qui se veut rassurante.

« On n’a pas d’amis nous, les virus. C’est plutôt notre nature de se faire discrets. Et ce n’est pas avec les humains que j’ai pu me faire des amis. La plupart ne voient pas la raison biologique de notre existence, ils nous punissent pour ce qu’ils croient que nous sommes et décident pourquoi on existe! »

« Mais qui es-tu vraiment, alors? », demanda Éva.

« Je ne sais pas, je suis juste moi. », répondit naïvement Covid.

« Pourquoi fais-tu du mal aux humains comme ça? », s’enquerra courageusement Éva.

« Je ne veux pas faire de mal à personne. », rétorqua le jeune Covid.

« Depuis que vous êtes arrivés, ta famille élargie et toi n’arrêtez pas de tuer des humains autour de vous! »

« Mais depuis qu’ils sont arrivés, les humains n’ont pas arrêté de tuer tout ce qui vit autour de vous, non? », affirma Covid, à sa défense.

« Combien êtes-vous comme toi? », demanda Éva, de plus en plus impatiente.

« Notre famille grandit chaque jour. », répondit le jeune garçon.

« Vous n’avez pas de système de planification des naissances? », demanda Éva, un peu exaspérée.

« Non, c’est quoi ça au juste? », répondit Covid, confus.

« Il s’agit de manières pour ralentir votre reproduction. De toute façon, il va falloir que je rentre. Avant de partir, peux-tu me dire ce que tu gardes dans ton baluchon? », demanda-t-elle gentiment.

« Bien sûr, je vais te le dire. Premièrement, je rapporte avec moi :

Le fait que les humains aient besoin de donner un sens à tout

Comment ils blâment ou invoquent l’univers pour ce qui n’est que de la biologie

Des cartes de remerciements que j’ai reçues de la part de Mère Nature, la planète Terre, de sa Faune et sa Flore pour les vacances de quelques mois et l’espoir

Une urne des cendres d’une abeille décimée en 2019 à cause de la Grande Économie Mondiale

Tout ça, ça m’aide à me rappeler que je ne suis pas qu’un vaut rien. »

« Ça va te faire de beaux souvenirs. Mais dis-moi, pourquoi es-tu si gentil avec moi alors que ta famille essaie de tuer ma grand-maman et mon grand-papa? », demanda sincèrement Éva.

« Mais Éva, on n’essaie pas de tuer qui que ce soit, c’est plutôt parce que, comme avec toutes les maladies des humains, un jour vient où c’est leur corps qui n’arrive plus à se défendre. Tes précieux grands-parents seront toujours présents en ton âme, grâce à la leur. Personne n’attaque personne, c’est l’œuvre du Grand Cycle de la Nature. », s’empressa-t-il d’enseigner.

« Bon, je crois qu’il est temps que je poursuive ma route maintenant. Est-ce que tu vas revenir, Covid? »

« Je ne suis jamais parti, j’ai toujours été et serai toujours. Sous une forme ou une autre, comme toi, je serai toujours présent. » répondit philosophiquement Covid

« Merci pour tes belles leçons Covid. Peut-être qu’avec le temps nous allons réussir à mieux vivre ensemble. »

« Bien sûr Éva, comme avec tous mes ancêtres! »

Porté par l’espoir de retrouver son domicile original, Covid trainait dans son baluchon une part de mélancolie et de regrets pour tout le mal que lui et sa famille nombreuse avaient causé. D’un pas lent, mais déterminé, nous pouvions apercevoir la chevelure foncée et bouclée de Covid disparaitre sur le sentier, l’horizon rendant sa silhouette aussi imperceptible que le mystère entourant sa naissance.

Marc André Morel

Photo : Karsten Wurth

© 2020 Marc André Morel. Tous droits réservés.

Que pensez-vous de cette rencontre entre Éva et Covid? Est-il parti pour de bon? Est-ce que la personnalité d’Éva aura réussi à changer son opinion des humains?