Boire de son Kool-Aid

Pour la plupart d’entre nous, le Kool-Aid est désormais un souvenir d’enfance. Inventée en 1927, cette boisson sucrée à saveur de fruits a souvent fait grimper l’indice de popularité de nos tendres mamans durant les mois d’été. C’était l’époque des journées passées à s’inventer des jeux à l’extérieur, de 8h00 à 21h00. Régime parfait pour la haute teneur en calorie de ces cristaux qui se transformaient en un élixir rafraichissant et rassasiant.

Depuis quelques décennies, les adultes ont kidnappé cette ludique marque de commerce afin d’en faire une expression bien ancrée dans la culture moderne. Tout a débuté avec le suicide collectif de la secte de Jim Jones en 1978. Ils ont bu du cyanure, ajouté à cette boisson sucrée. Depuis, ce geste est devenu une métaphore pour illustrer «une obéissance aveugle ou une loyauté à une cause», selon Wikipédia. La trame narratrice de plusieurs présidents américains seraient devenus leur Kool-Aid, entre autres exemples.

L’expression a évoluée. Elle caractérise quiconque adhère à une doctrine, rhétorique, croyance ou valeur, qui définissent sa pensée, et ultimement, sa façon de vivre. Il s’agit souvent de personnes au caractère psychodogmatique, à la pensée arrêtée et rigide, qui se gargarisent ou saoulent avec leurs discours. Ceux qui croient «dur comme fer» et qui sont plutôt «à cheval sur leurs principes» font facilement partie de ceux qui boivent de leur Kool-Aid.

Par exemple, dans l’histoire de l’humanité, les religions ont divisé des peuples entiers. Croire en Dieu n’était plus suffisant, il fallait choisir le sien ou périr. Ou l’idée que la race blanche (aryenne) serait supérieure. Plus près de nous, les théories du complot, avec des groupes qui sont, soit: convaincus que le coronavirus de 2019 est une invention pour réduire la population mondiale; le masque donne le virus; le vaccin ne sert qu’à nous asservir, etc.

Plus superficiellement, dans notre entourage, nous retrouvons ceux et celles qui ne «jurent» que par l’huile de noix de coco, la diète paléolithique, le chou frisé, la Zumba, le CrossFit, le yoga chaud, etc. Être coincé au bout d’une table lors d’un souper à côté de celui ou celle qui a une «théorie personnelle unique» pour contrer le réchauffement climatique peut devenir un véritable calvaire.

À un moment ou à un autre, il nous arrive tous d’être consumés par notre opinion ou jugement d’une situation. C’est humain. Sauf qu’un saule ne peut casser lors d’une tempête. Un chêne, oui. Notre psychorigidité ne peut que nous apporter souffrances et isolement des autres. L’idée d’«avoir raison» n’est qu’une illusion. Faites cet exercice avec moi : étirez votre bras vers le haut en pointant vers le ciel à l’aide de votre index. Du doigt, faites des cercles dans le sens des aiguilles d’une montre. Gardez vos yeux sur votre index qui tourne, en descendant lentement votre bras jusqu’à ce que votre doigt soit sous vos yeux. Eh oui! Le sens du tracé du cercle a changé de direction. Tout est donc une question de perspective.

Garder un esprit ouvert à tout, et fermé à rien est l’idiome pratiqué par les personnes les plus sereines, souples, profondes, agréables et heureuses que j’ai rencontré et admiré au cours de ma vie. Si la vie est un combat, il ne regarde point l’autre. Le véritable défi est de construire son maitre intérieur, en évitant les distractions et pièges tendus par l’ego. Le plus grand est celui de se mettre à boire de son «propre» Kool-Aid. C’est-à-dire de croire que «je» suis la vérité. Avoir le sentiment que le rôle que je joue est supérieur à d’autres. Que je suis important! Plus important que certains de mes semblables. Le sucre vire alors en poison.

Pourquoi ne pas prendre un moment pour dresser la liste des verres de Kool-Aid que vous avez peut-être tendance à vous servir? Faites l’inventaire de vos convictions les plus tenaces, incluant celles qui vous paraissent les plus anodines (j’ai la meilleure recette du monde, moi je sais comment élever les enfants de ma fille, je ferais un meilleur gestionnaire que le mien, etc). Voyez comment vous pouvez attendrir vos convictions. Ça prend du courage pour devenir une meilleure personne, pas une tête dure.

Marc André

Photo: Ana Flavia

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