Six mois de pandémie au travail [entrevues et sondage]

Qui aurait cru que trois générations complètes de la population active, sans aucune expérience de télétravail, auraient adopté de façon aussi spontanée et éloquente le mode de travail jadis réservé aux audacieux et précurseurs travailleurs autonomes?

Quels sont les enjeux et préoccupations actuels?
Pour souligner six mois depuis l’ordre de confinement en mars dernier, j’ai interviewé pour vous quatre dirigeants, entrepreneurs et décideurs. L’objectif était de saisir les réactions de quelques-uns de mes clients concernant l’état de la situation au travail, en cohabitation avec le virus. Quels sont les enjeux et préoccupations actuels? Comment entrevoyez-vous l’avenir? Issus d’écosystèmes variés, de façon combinée, ils sont responsables du sort de milliers d’employés. Je remercie ces leaders pour leur candeur et leur générosité :

  • Stéphane Dufort, Vice-président, Secteurs industriel et commercial, IBM Canada Ltée
  • Jacynthe Pigeon, Chef, développement des talents, UAP NAPA
  • Manon Ouimet, consultante RH, ex-DRH
  • François Auger, entrepreneur et président, Ideation6, plateforme de collaboration à distance

Effervescence
Paradoxalement, l’économie a le vent dans les voiles en 2020. La pandémie a bousillé nos méthodes, mais n’a pu arrêter la vague effervescente qu’elle a héritée de 2019. La table est mise.

Épuisement en vue
Alors qu’une deuxième vague au Québec est officiellement déclarée au moment d’écrire ces lignes, un des plus grands défis à relever à ce point-ci, est la santé mentale des employés, surtout des télétravailleurs. Encore parfois sur l’adrénaline et en état d’adaptation depuis six mois, les gens sont essoufflés. Une organisation interviewée a choisi d’octroyer à tout son personnel dix jours de congé additionnel à prendre d’ici le 31 décembre.

Travailler à distance veut aussi dire « isolement ». Même avec un contact quotidien pré-Covid, les signes avant-coureurs d’épuisement chez leurs employés échappaient aux gestionnaires, imaginez à distance. Désormais, pour plusieurs, chaque dirigeant doit avoir au moins un point de contact par jour – courriel, appel ou zoom. Fermer sa webcam sur les zoom à plus d’une reprise, si cela vous est permis, éveillera les soupçons de votre entourage. Nous visitons tous ces sujets et plus dans la conférence « Rien ne sert de courir, il faut partir à point ».

Besoin de motivation
Comment garder le personnel mobilisé et engagé? Voilà un enjeu qui surgit, après une première vague d’adaptation, de mises à pied et de mises au chômage. Mobiliser ses troupes à distance est manifestement un défi, chacun en convient. Cependant, organiser des évènements virtuels avec conférenciers experts divertissants est beaucoup mieux que ne rien faire du tout, même si cela n’est pas parfait. Certains y vont d’une conférence de 30-40 minutes, suivi d’interventions ponctuelles de 25 minutes avec interactions, une fois par semaine, pendant 3-6 semaines.

Rester à la maison
La conséquence la plus remarquable de la crise sanitaire est sans contredit la réalité que la moitié du temps de travail se fera à partir de la maison. La plupart des employeurs consultés ont déjà averti leurs employés qu’ils pourront travailler 2-3 jours à la maison. Ce qui n’est pas nécessairement une obligation. Certains individus, pour des raisons personnelles, ont pu travailler dans le siège social désert. Que l’avenir réserve-t-il à ces cas d’espèce? Trop tôt pour le dire.

« La plupart des Québécois préfèreraient travailler à distance, avec la même compensation ». Plus spécifiquement, « 59 % préfèreraient travailler à distance au moins trois jours par semaine ». Question rémunération, « 68 % ne considèreraient pas accepter une compensation réduite pour travailler à distance ». C’est ce que révèle le sondage publié par le géant de la paie, ADP Canada, le 2 septembre dernier. Plus de résultats à la fin de cet article.

Le Covid a le dos large
Tel qu’il en est lors d’une crise économique, des milliers d’entreprises en profitent pour faire une purge, au nom de la pandémie. Chose certaine, ce n’est pas le cas des directions des entreprises qui m’ont confié leur état de la situation. Au contraire, elles ont plutôt choisi de réinvestir en leur personnel, les mettant rapidement à jour avec l’équipement technologique nécessaire à la maison, ergonomie incluse.

Message aux leaders et gestionnaires
Le télétravail – et la menace de mort et de maladie du virus – a fait tomber les masques. Une part de superficialité s’est fracassée. Les communications ont grimpé en authenticité. L’importance pour un leader de donner l’heure juste à ses troupes n’a jamais été aussi probante. La transparence fait partie du kit de survie.

Plus que jamais, les experts en ressources humaines au sein de l’organisation sont capitaux. Ici, il s’agit de doter l’organisation de véritables ressources de soutien, en conciliation télétravail-famille, en santé mentale, en coaching, en développement professionnel et personnel.

C’est le temps de bouger
Les jeunes sont mobiles. Ils pourront prendre des emplois d’ici et s’installer ailleurs. Tout comme un plus grand cerveau de Mozilla Firefox travaille de chez lui, au Québec. Ce qui veut dire que des milliers qui travaillent de la maison ici pourront être remplacés par des cerveaux de pays aux économies émergentes. La porte est désormais ouverte. Les innovations et l’entrepreneuriat québécois sont fabuleux. Voilà depuis les années quatre-vingt que je m’y intéresse. Après avoir présenté des formations pendant deux ans aux États-Unis et au Canada, j’avais des larmes de joie en revenant au Québec, tellement j’étais fier de l’être. D’autres pays sont désormais plus innovants et agressifs. Pendant la crise, nous avons fait beaucoup. Mais nous partions de loin. Nous devons faire plus, nous devons faire mieux.

Une fois de plus, je souhaite remercier Stéphane Dufort, Jacynthe Pigeon, Manon Ouimet et François Auger, qui ont permis la réalisation de cet article.

Marc André

Le futur du travail devrait être plus flexible, selon les Québécois
o    Plus du quart des Québécois en emplois (28 %) préfèreraient travailler avec des horaires flexibles
o    Plus du quart (29 %) croient que les employeurs offriront plus d’options de travail flexible dans les cinq prochaines années
o    Plus du quart (27 %) pensent que les employés travailleront à distance dans le futur

Les Québécois sont anxieux à l’idée de retourner au travail
o    14 % ont hâte de retourner sur leur lieu de travail, un chiffre en chute depuis mai, alors qu’une enquête précédente d’ADP trouvait que 33 % avaient hâte de retourner au bureau
o    18 % ne veulent pas retourner du tout
o    14 % se sentent anxieux à l’idée d’y retourne

© 2020 Marc André Morel. Tous droits réservés.